Création de l’Institut de la Prévention des Vulnérabilités en Santé

Publié le 10/04/2025

« Être vivant, c’est être vulnérable, ou c’est, à terme, le devenir » :
la création de l’Institut de la Prévention des Vulnérabilités en Santé (IPVS) racontée par le Professeur Régis Aubry

Le 2 avril dernier, nous avons rencontré le Professeur AUBRY, pour échanger à propos de son projet de création de l’Institut de la Prévention des Vulnérabilités en Santé (IPVS) qui a débuté à la fin de l’année 2022. Un lancement de longue haleine, pour un projet de grande ampleur, qui entreprend de comprendre et d’agir sur un sujet important de la santé de chacun : la vulnérabilité.

Le Professeur AUBRY exerce de nombreuses responsabilités et fonctions : Chef du pôle Autonomie Handicap au CHRU de Besançon ; Chercheur Associé à l’Institut National des Etudes Démographiques ; Professeur Associé des Universités. Il est le coordinateur de l’axe de recherche « Éthique et progrès médical » du centre Hospitalier Régional Universitaire de Besançon (INSERM), ainsi que membre du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

L’Institut pour la Prévention des Vulnérabilités en Santé reçoit cette année le soutien de la Fondation de l’Avenir, l’occasion pour nous de vous présenter en détail ce programme de recherche passionnant, dont l’apport pour la médecine et les patients sera majeur.

Fondation de l’Avenir – Pouvez-vous nous raconter comment vous est venue la volonté de travailler sur la question des vulnérabilités ?

Professeur AUBRY – A travers mon parcours médical, j’ai été confronté à des situations compliquées, à la question de la souffrance humaine et de ses limites, de ce qui est supportable ou non chez certains malades. Cela m’a amené à m’intéresser dans un premier temps au développement des soins palliatifs, avec des responsabilités nationales.

Ensuite, je me suis orienté assez logiquement vers la gérontologie et la gériatrie, en dirigeant un pôle et un service de gériatrie au CHU, pour arriver finalement en fin de carrière à m’intéresser à la question des situations de vulnérabilité. En effet, j’étais médecin, avec une formation de médecine interne, et possédant une grande croyance dans le progrès et les avancées techniques et scientifiques de la médecine. Mais mon expérience professionnelle m’a donné à voir qu’en médecine, le corollaire du progrès peut prendre la forme d’une zone d’ombre, qui est la possibilité pour des personnes de plus en plus nombreuses de vivre de plus en plus longtemps et parfois dans des situations compliquées. C’est ce que je qualifie de situations de vulnérabilité.

Nos sociétés fabriquent ces situations complexes, il faut donc de plus en plus développer des approches interdisciplinaires. Et mettre en place une réflexion éthique pour appréhender ces questions. J’ai débuté par un développement régional, en créant puis dirigeant un espace de réflexion éthique dans ma région, la Bourgogne Franche Comté. Puis j’ai pris des responsabilités au Comité national d’éthique, dont j’ai fini par diriger le Bureau pendant plusieurs années. L’aboutissement de ma démarche se concrétise par la création de l’IPVS, sur lequel je vais m’engager sur les prochaines années.

Qu’est ce qui caractérise cette vulnérabilité ? 

Si bon nombre de personnes âgées vivent en bonne santé à un âge avancé, d’autres peuvent vivre longtemps avec plusieurs maladies synchrones, une altération de leur indépendance fonctionnelle, voire parfois une altération de leur capacité à décider pour elles-mêmes. La société actuelle fabrique des situations paradigmatiques nouvelles très complexes, qui en réalité positionnent les personnes dans une situation de vulnérabilité. Ce terme revêt une dimension plurielle, qui est à la fois physique mais qui met aussi à distance les personnes de leur vie sociale. Ceci engendre une vraie souffrance psychologique que j’ai pu éprouver au contact des personnes malades. C’est difficile de ne plus être ce que l’on était, d’avoir une modification du rapport à soi, à son corps et aux autres. Il y a enfin une dimension environnementale : l’environnement, qu’il soit humain ou architectural, n’est plus adapté à la réalité que vivent des personnes en situation de vulnérabilité, qui présentent un handicap ou une altération de leur indépendance.

Affiche du colloque « Regards croisés sur les vulnérabilités liées à la santé », IPVS

Quel est l’objectif concret de l’IPVS, soutenu par la Fondation de l’Avenir ? 

Je pense qu’il nous faut à la fois expérimenter des nouvelles approches cliniques pour dépister, diagnostiquer et accompagner les personnes en situation de vulnérabilité du fait de leur maladie, et parfois même du fait de l’intervention directe de la médecine. Il faut observer ce phénomène des situations de vulnérabilité, sur lequel on possède très peu de données. C’est la raison d’être de l’IPVS.

Le premier pilier de notre Institut, c’est un projet d’expérimentation clinique : dépistage des situations de vulnérabilité, avec un diagnostic de leurs composantes sociales, physiques, psychologiques, environnementales, sous-tendu par l’idée qu’une personne n’est pas vulnérable, mais est en situation de vulnérabilité. Plus précisément, il y a l’idée que chaque individu vulnérable possède des capacités qu’il s’agit de développer. Cela va nécessiter de collecter des données en croisant les bases de données des grandes instances nationales (Système National des Données de Santé, sécurité sociale…) pour quantifier et décrire qualitativement le phénomène. La visée de ce diagnostic est de mettre en place un programme pour chaque personne avec suivi personnalisé, sur un territoire d’expérimentation restreint, qui partira du CHU de Besançon dans lequel je travaille encore.

Le 2e pilier est la création d’un observatoire des situations de vulnérabilité liées à la santé. L’objectif d’un tel observatoire est de quantifier autant que décrire ces situations qui échappent en partie à notre connaissance. C’est d’ailleurs cette action que finance la Fondation de l’Avenir. Les données de cet observatoire comme celle de l’expérimentation alimenteront la recherche

Le troisième pilier de l’IPVS repose sur le lancement d’un programme de recherche ?

Tout à fait, à travers la construction d’un conseil scientifique qui va développer une recherche à la croisée des sciences humaines et sociales et de la médecine pour appréhender ce phénomène des vulnérabilités au travers du prisme du vécu des patients. L’expertise des personnes malades est un élément important de notre démarche.

Ses travaux ont vocation à venir nourrir les réflexions philosophiques liées à ce que j’appelle non pas la fin de vie, mais la fin de l’existence. Les débats actuels nous interpellent sur ce qu’est une existence quand elle « perd son sens ». L’objectif est d’interpeller la société et la médecine pour qu’elles ne contribuent pas à faire ou à générer des situations de vulnérabilité au seul motif « qu’elle sait faire ». En effet, si soigner conduit à faire souffrir, on arrive à un paradoxe dans l’éthique du progrès. Par ailleurs, nous sommes animés par un devoir de société. J’entends par là le fait de développer des formes de solidarité vis-à-vis des personnes en situation de vulnérabilité. Car une société qui perdrait sa capacité à créer des solidarités vis-à-vis des personnes sont le plus en situation de vulnérabilité serait une société qui se perdrait.

A quelles réalisations concrètes pourraient aboutir vos travaux ?

Derrière tous ces questionnements sur ce que vivent les personnes et leurs proches, car ces derniers portent souvent également le poids de la vulnérabilité, nous nous intéresserons de façon très pragmatique aux moyens d’améliorer la vie quotidienne et la reconnaissance de ces personnes. Par exemple, par la mise en place de formations semblables à l’éducation thérapeutique, à destination des personnes, afin de développer ces approches capacitaires et de leur permettre de redevenir acteurs de leur propre santé. Cela nous apparaît fondamental.

Le Professeur AUBRY a souligné la capacité de la Fondation de l’Avenir à s’être adaptée à sa démarche initiale, qui est l’appréhension des vulnérabilités en santé dans un angle élargi et pluridisciplinaire.

Pour aller plus loin et prolonger la réflexion autour des travaux du Pr Aubry, vous pouvez consulter l’avis 148 du CCNE, autour de ces questions d’éthique, de progrès et de situation de vulnérabilité et visionner le Colloque Regards Croisés sur les vulnérabilités liées à la santé organisé par l’IPVS.

La cérémonie de remise aura lieu à l’adresse suivante :

CHU – salles des Instances de la Direction Générale
Site Gabriel Montpied – 58 rue Montalembert – 63000 Clermont Ferrand