Pr Éric Allaire
Publié le 10/01/2018
A l'occasion des instances de fin 2017, le professeur Eric Allaire* a été nommé président du conseil scientifique de la Fondation de l'Avenir. Retour en interview sur sa vision concernant la Chirurgie, la Recherche et la Fondation de l'Avenir.
Éric Allaire
Que pouvez-vous nous dire des travaux récompensés pour cette édition anniversaire des 10 ans des Prix des Chirurgiens de l’Avenir ?
Neurochirurgie, chirurgie digestive, urologie et chirurgie reconstructrice, les travaux récompensés représentent une grande diversité de thématiques et de spécialités. C’est le reflet de ce Master qui s’adresse à tous les chirurgiens, quelle que soit leur spécialité. Nous avons entendu chaque lauréat nous dire en recevant son prix le plaisir qu’il avait eu à réaliser ses travaux de recherche. Le succès d’une recherche, c’est cette rencontre et cette convergence entre un individu inscrit dans une équipe clinique et les chercheurs d’un laboratoire. Les lauréats sont de jeunes internes en chirurgie qui ont eu beaucoup de curiosité associée à leur chirurgie, ils ont tous mené une recherche très liée à leur pratique clinique. Très certainement ont-ils apporté au laboratoire leur regard de chirurgien.
Pourquoi est-ce important de former les jeunes chirurgiens français à la recherche ?
Il est important de former à la recherche tous les chirurgiens du monde. La recherche est un domaine de liberté individuelle, tandis que la chirurgie est nécessairement normée pour apporter au patient ce qu’il y a de meilleur. Les jeunes chirurgiens sont élevés dans cette norme. Il est essentiel qu’ils puissent à un moment s’en extraire pour à nouveau exercer leur esprit critique. C’est important pour trouver de nouvelles idées, réaliser des innovations, mais aussi en tant que chirurgien. Faire de la recherche permet d’avoir cette capacité à prendre du recul par rapport à ce qui est imposé et à trouver dans l’instant, la journée ou la semaine, la solution la plus efficace pour le patient. La recherche est un bon moyen de se former à être un meilleur chirurgien.
Quelle est l’origine et quelles sont les spécificités de ce Master de Sciences chirurgicales que vous dirigez ?
Ce Master est unique en France, mais aussi en Europe. J’ai été invité récemment par la Société de recherche chirurgicale européenne à le présenter à nos confrères étrangers. En 1986, le professeur Michel Huguier, qui était chirurgien viscéral à l’hôpital Tenon, a rencontré le ministre de la Santé de l’époque, Michèle Barzac, et l’a convaincu qu’il était important que les chirurgiens puissent être confrontés au meilleur de la recherche. Le créateur de cette formation était convaincu que cette rencontre entre deux univers, celui des cliniciens et celui des chercheurs, permettrait des avancées majeures en chirurgie et plus généralement en recherche biomédicale. Dans leur cursus, les internes en médecine ne sont pas en contact avec les chercheurs. La rencontre du bloc et du laboratoire est fertile.
Quels sont les contenus des enseignements dispensés au cours de cette année de formation à la recherche ?
Nous sommes convaincus qu’un Master 2 est d’abord une initiation à la recherche. Ce qui veut dire que l’essentiel de l’apprentissage doit s’effectuer au laboratoire. Or nous luttons actuellement contre une tendance de fond qui est de raccourcir le temps passé au laboratoire par les étudiants de Master au profit des cours théoriques. Nous sommes farouchement opposés à cette idée. Nos étudiants ont 10 ans d’études derrière eux, que voulez-vous ajouter comme enseignements théoriques à une jeune femme ou un jeune homme qui a déjà eu des milliers d’heures de cours ? Cela n’a pas de sens. La véritable expérience qui va bouleverser la vie de ces jeunes, c’est le laboratoire. Les cours théoriques, qui restent indispensables, délivrent des clés plus que des savoirs. Les étudiants ont un tronc commun et se répartissent en trois parcours avec des enseignements plus ciblés : cancérologie, neurosciences et 3R.
Pourquoi est-ce important de créer le terreau de futures collaborations entre jeunes chirurgiens et avec les chercheurs ?
Nos sociétés contemporaines sont des sociétés de spécialistes. Ce sont les consommateurs qui l’exigent. Ils veulent des prestations impeccables, qui soient les meilleures du moment. Ils ont raison et je ne vois pas comment l’évolution pourrait ne pas aller dans ce sens. En revanche, cette spécialisation peut parfois être un peu paralysante, un peu sclérosante, parce qu’on a besoin de savoir ce que font les autres, y compris dans des domaines très différents. Je rêverais que dans les cours du Master, un peintre vienne parler de son métier. C’est extrêmement important de faire se rencontrer des univers différents. Grâce au Master, toutes les spécialités se retrouvent. Cela permet à des spécialistes aux profils très différents de reparler de leur métier et de confronter leurs expertises à d’autres.
Quelles sont les évolutions dans les thèmes des travaux de recherche des lauréats depuis 10 ans ?
Je dirais qu’il y a une recherche institutionnelle et bien établie dans le Master qui est celle du laboratoire « solide » type CNRS ou Inserm. Et puis, à côté, on voit émerger de nouvelles recherches qui associent la robotique, les moyens numériques. Ces pans nouveaux sont appelés à devenir de plus en plus importants. Et je pense aussi qu’il y aura de plus en plus de sollicitations des chirurgiens pour réaliser des travaux de recherche sur la structuration des soins. On a fait beaucoup de progrès en chirurgie, en médecine, mais on a peut-être reculé dans l’organisation des structures hospitalières. C’est-à-dire que la responsabilité future des chirurgiens que nous sommes, et des jeunes chirurgiens encore plus, est de rétablir quelque chose qui existait et de remettre le patient pleinement au centre des préoccupations des structures de soins.
Quelle est l’importance du partenariat avec la Fondation de l’Avenir pour accompagner les chirurgiens à toutes les étapes de leur parcours ?
C’est un soutien essentiel. J’ai pu mener des recherches grâce à la marche que la Fondation de l’Avenir m’a aidé à franchir. Une fois que l’on a été formé à la recherche, la difficulté est de trouver les premiers financements pour ses travaux. En début de carrière, il faut pouvoir se reposer sur une structure qui vous fait confiance, qui accorde des crédits pendant au moins deux ans. Cette bienveillance initiale est nécessaire pour transformer les bonnes idées en avancées. La Fondation de l’Avenir est l’acteur principal du développement de la recherche chirurgicale en France. Particulièrement attentive aux thèmes et aux outils de la recherche chirurgicale, elle allie la bienveillance et l’intuition qui lui permettent d’identifier les projets originaux. La Fondation, née de la clinique chirurgicale de la Porte de Choisy, a ce regard très particulier, unique, qui fait que la recherche chirurgicale française a vraiment besoin de son engagement.
*Le professeur Allaire, qui fut élève de Jean-Baptiste Michel, président du conseil scientifique de la Fondation en 2008, succède au docteur Catherine Le Visage à la tête du conseil scientifique. Il dirige le Master 2 de sciences chirurgicales, et est chirurgien vasculaire à l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil).
Éric Allaire, Éric Allaire, Éric Allaire, Éric Allaire , Éric Allaire