Malgré de nombreuses études, le fonctionnement et l’architecture du cerveau restent encore largement inconnus, et en particulier le cerveau profond reste un verrou. Les structures au centre du cerveau ont pourtant un rôle majeur dans des fonctions cérébrales clés, comme la mobilité et le comportement : leur connaissance représente donc un enjeu médical considérable.
A l’instar de Claude Ptolémée, à qui l’on doit les premières cartes géographiques du monde habité, le programme Ptolémée vise à cartographier le cerveau humain profond, pour mieux comprendre son architecture et ses interactions avec les autres zones du cerveau. Il s’agit ainsi, ici, de réaliser des cartes individuelles, spécifiques du cerveau de chaque malade, en s’appuyant sur l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) et sur des techniques d’analyse utilisées en Intelligence Artificielle (IA).
Le professeur Jean-Jacques LEMAIRE, chef du service de neurochirurgie du CHU de Clermont-Ferrand, pilote ce projet qui associe sept centres hospitalo-universitaires (CHU) (Amiens, Clermont-Ferrand Limoges, Marseille, Nice, Saint-Etienne, Rouen), un centre hospitalier (CH Foch) et l’Institut de technologie médicale et d’informatique médicale de Bâle, dans une approche interdisciplinaire transversale et internationale.
Nous avons rencontré le professeur LEMAIRE et plusieurs membres de son équipe le mardi 30 mai dernier, à l’Université Clermont Auvergne.
De gauche à droite : Maha BEN SALAH (doctorante), Omar OUACHICKH (ingénieur), Anna SONTHEIMER (ingénieure), Aigerim DAUTKULOVA (doctorante), Christophe BOURRET, Jean-Jacques LEMAIRE, Marion LELOUVIER, Céline TEULIERE (enseignante-chercheuse), Adrien WOHRER (enseignant-chercheur).
Membres absents le jour de la rencontre : Jérôme COSTE (ingénieur) et Rémi CHAIX (neurochirurgien).
© Omar AIT ADER (enseignant-chercheur).
Fondation de l’Avenir : Quand avez-vous commencé à vous intéresser au cerveau profond ? Pourquoi cette thématique vous tient-elle particulièrement à cœur ?
Professeur Jean-Jacques LEMAIRE : Je me suis intéressé au cerveau profond lorsque nous avons mis en place la neurostimulation cérébrale profonde au CHU de Clermont-Ferrand avec l’équipe de neurologie du professeur Franck DURIF, et ce dans la foulée de la mise au point de la technique par le professeur Alim-Louis BENABID et le professeur Pierre POLAK à Grenoble, où nous nous avions été formés. Très rapidement, je me suis rendu compte de l’intérêt de cartographier de manière individuelle le cerveau profond en s’appuyant sur l’IRM. Ainsi, pas à pas la technique a été développée et raffinée, en travaillant notamment sur l’amélioration des séquences IRM et en maitrisant mieux l’architecture du cerveau. Ceci a notamment eu des retombées au niveau de la conception de nombreux logiciels toujours utilisés en neurochirurgie stéréotaxique [pour atteindre lors des opérations des zones précises du cerveau] dans le monde.
Comment avez-vous été amené à emprunter des techniques au domaine de l’Intelligence Artificielle (IA) ? Quel impact ont eu ces méthodes sur votre pratique de recherche ?
L’intérêt de l’IA s’est rapidement imposé ces cinq dernières années pour construire ce projet car, d’une part les outils algorithmiques et informatiques étaient devenus plus performants et, d’autre part, nous avions constitué une large et unique base de données de cartographies individuelles (manuelles) des patients soignés au CHU de Clermont-Ferrand. Nous avons ensuite développé la transversalité au sein de l’équipe pour couvrir les différents aspects du programme Ptolémée, définir et réaliser nos objectifs.
Quels seront les apports du projet à votre pratique en neurochirurgie ?
L’objectif est clairement de rendre accessible au plus grand nombre de patients, au travers des équipes médicales et de recherches, une méthode semi-automatisée de cartographie du cerveau profond, et ce quelles que soient les applications. Ceci doit simplifier les traitements actuels, tout en ouvrant de très nombreuses perspectives pour des nouveaux traitements (par exemple, des médicaments, et des méthodes de neuromodulation cérébrale [stimulation via des électrodes]) agissant sur des zones beaucoup plus détaillées du cerveau profond.
Le programme Ptolémée est soutenu par le Fonds Avenir Matmut, créé en 2011 et rassemblant la Matmut et la Fondation de l’Avenir. Le président du Groupe Matmut, Christophe BOURRET ainsi que la présidente du directoire de la Fondation de l’Avenir, Marion LELOUVIER, ont tous deux participé à la rencontre du 30 mai. Monsieur BOURRET a salué la singularité de ces travaux :
« La Matmut est fière de soutenir ce projet ambitieux et unique : il est le seul à s’intéresser à la cartographie du cerveau profond. Il est rendu possible par l’expertise considérable de l’équipe de Jean-Jacques LEMAIRE sur ces structures cérébrales et l’imagerie, et par celle de ses partenaires. Ces travaux transdisciplinaires allient brillamment chirurgie, biologie, intelligence artificielle et programmation. Nous pensons que le projet aura des retombées majeures pour la recherche et la pratique en neurochirurgie, et qu’il présente un fort potentiel de développement industriel. »
Marion LELOUVIER a quant à elle souligné l’importance de telles rencontres :
« C’est le rôle d’une fondation reconnue d’utilité publique et consacrée à la recherche clinique d’organiser ces rencontres entre des univers différents, de faciliter les ouvertures et les collaborations, entre les cliniciens, d’autres chercheurs, les industriels, les entreprises engagées. »
Le programme Ptolémée se déroulera jusqu’en 2025. Il pourra ainsi faciliter, directement, par un traitement, ou indirectement, via une compréhension des dysfonctions, la prise en charge des maladies neurodégénératives, dont la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, ou des états de handicap chronique après traumatisme crânien, objet du récent colloque de la Fondation Mutuelle des Motards, ou accident vasculaire cérébral – AVC.
La Matmut a réuni ses élus et délégués sociétaires lors de ses assemblées générales
annuelles, qui se sont tenues à Paris, le samedi 10 juin dernier.
Au-delà des étapes statutaires pour chacune des entités, ce temps de partage s’est terminé par un focus sur les actions de la Matmut en faveur de la santé, à travers notamment le programme « excellence santé accessible », qui réunit toutes les entités soutenues par le Groupe, et la Fondation Matmut Paul Bennetot.
Le Groupe Matmut a créé en 2006 la Fondation Matmut Paul Bennetot : cette fondation abritée par la Fondation de l’Avenir a soutenu plus de 150 projets de recherche et permis de nombreuses publications scientifiques. Le docteur Valérie FOURNEYRON a présenté quelques illustrations de soutiens à des recherches cliniques à bénéfice immédiat pour les soignants et les (futurs) patients : le Programme Inverser les courbes du professeur François CARRE, qui vise à évaluer l’efficacité d’un programme d’activité physique personnalisé chez les collégiens ; le Programme LCAE, qui a pour objectif de limiter le recours systématique et coûteux à l’IRM en cas de rupture de ligaments du genou ; un programme qui vise à mieux former les soignants à l’annonce d’un handicap suivant un traumatisme de la moelle épinière ; le Living Lab du centre de la Gabrielle, qui a pour but de repenser et transformer les espaces de vie des enfants et adultes en situation de handicap mental.